Retour de lecture: Ernst Junger, Sur Les Falaises de Marbre

JUNGER E., Sur Les Falaises de Marbre, 1942, trad. Henri Thomas

Face à la terreur grandissante ménagée par des bandes d’envahisseurs, deux frères s’abandonnent à la botanique plutôt que de succomber au désir de vengeance et sombrer eux-mêmes dans la barbarie. Fiction champêtre sur l’exercice de la dignité quand tout se dérobe sous nos pieds et que la réalisation du pire est imminente, ou pas. Omniprésence d’imageries rurales, pastorales et forestières qui témoignent d’un amour profond pour les choses de la nature et confèrent au récit une dimensions presque charnelle. Élaboration d’un folklore fictionnel vibrant ancré dans des réalités historiques variées - de la culture de la chasse aux rites domestiques romains - mêlé à la pure invention sans que la distinction soit évidente.

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On retrouve le sens de l’observation aiguë que Junger mentionne et déploie dans ses journaux, particulièrement dans Jardins et Routes. Spécifiquement, cette qualité d’être subtil même quand il est question du sordide ou de la plus grande barbarie et de ses effets funestes sur ceux qui la subissent. Le parallèle avec son expérience - contemporaine à la rédaction du livre - de la guerre, des scènes de dévastes et des dynamiques de pouvoir tragiques propres aux effondrements est facile à dresser. Peut-être (terrain glissant) également prophétique dans sa façon de prévoir la démoniaque soif de violence, intarissable jusqu’à bien après la fin de la guerre et de l’industrie meutrière des camps, qui sont mentionnés dans les entrées datées de 1945 dans La Cabane dans la Vigne.

J’y ai retrouvé la même richesse que dans ses journaux, les mêmes propriétés galvanisantes, mais l’érudition et la finesse servent ici à ériger un monde fictif crédible occupé d’archétypes humains forts en constraste. Quitte à encore faire preuve d’un enthousiasme un peu trop ardent, même l’introduction d’un personnage plein de vigueur nommé Braquemart en fin de récit n’est pas parvenue à me faire sortir la tête des enjeux d’une gravité croissante qui boulversent ce monde magnifique et intemporel, et pourtant au bord du gouffre.


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